Justine Guillard
« Patrick Guns : Rencontre avec un enchanteur de messages codés »
in: Le Suricate Magazine, 12 Septembre 2014
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http://www.lesuricate.org/
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Au sein du magnifique site du Grand Hornu, entre les murs étirables et lumineux du Musée des Arts Contemporains (Mac’s), se donne jusqu’au vingt-et-un septembre prochain l’exposition de l’artiste belge Patrick Guns. Une aventure aux allures oniriques dans les méandres d’une réalité qui questionne et qui indigne.
Entre pamphlet contre l’industrie de masse, clin d’œil étymologique et hommages aux âmes oubliées, Patrick Guns nous invite à nous projeter en tant que citoyen dans une sélection fine et remarquable de différents supports esthétiques : comme une multitude de pistes à explorer. Un voyage en terres critiques, une escapade mémorable.

Patrick Guns : un artiste multi-facettes au message poétique et engagé.
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Le Suricate Magazine : Patrick Guns, comment définiriez-vous votre identité d’artiste ? Vos modèles, vos influences, votre force créatrice ?
Patrick Guns : Je suis artiste plasticien et je ne m’inscris dans aucune catégorie plastique, mais c’est pourtant un sens de l’espace qui me guide. Je réalise donc des « images poétiques » dans l’espace.
A partir de collages d’idées, mon travail plastique tente de traiter des affaires humaines et de leurs interprétations. Je crois que ce sont des artistes engagés tel John Heartfield, Hans Haacke et Joseph Beuys qui ont aidé mon murissement.

LSM : Pourriez-vous nous conter, en quelques lignes, votre parcours ? Il n’est pas, ici, forcément question de la voie académique, bien sûr.
Patrick Guns : C’est la rencontre avec la sculpture qui m’a ouvert au monde et à la liberté de faire. Il y avait une exposition de sculptures en plein air dans un espace vert de mon quartier : je ressemblais à cette époque à certaines sculptures qui étaient lourdes et muettes et j’ai été fasciné par la liberté d’espaces et de contenus prise par les artistes. J’ai compris que l’art d’occuper l’espace et les angles de vues étaient déjà un discours alors une nécessité intérieure s’est imposée et j’ai décidé de devenir moi-même artiste. C’est ensuite cet accès à l’autodétermination qui m’a sorti de mon enfermement.

LSM : Le message politique et la revendication par l’Art sont clairement implantés dans vos travaux, d’où vous vient cette motivation de faire naître l’interpellation ?
Patrick Guns : Je ne peux être dupe du cynisme du monde, ni de son absurdité. En revanche je ne défends aucun idéal ni but normatif au risque de tomber dans un certain excès et à contrario dans un certain dogmatisme. Mon propos est d’abord plastique et je tente de soigner la forme poétique et visuelle qui doit révéler ensuite le sens et parfois ses strates de lecture. Je ne suis donc désormais pas dans l’acte, hormis ma proposition plastique dans laquelle je suis en adéquation avec ce que je suis.

LSM : Vos inspirations sont-elles puisées au fil de vos découvertes, comme guidées par le hasard ou bien les orientez-vous volontairement ?
Patrick Guns : Je revendique une certaine lenteur. Cette temporalité nourrit un besoin de précision et de construction. J’entretiens donc plusieurs projets simultanément. Je suis un grand lecteur et collectionneur d’ouvrages divers : quotidiens, historiques, anciens, sur l’art, sur la politique… Alors ensuite intervient la mise à distance d’une certaine actualité qui va définir un rapport au monde. J’essaie de comprendre le monde à travers cette approche plastique du réel. Le plaisir du réel réside pour moi dans sa fiction plastique.

LSM : Dans votre dernière exposition au Mac’s, vous multipliez les supports, les médiums, cela constitue-t-il une nécessité pour vous ? Une manière de décupler la création ?
Patrick Guns : Je ne revendique aucune spécialité ou peut-être un « amateurisme professionnel » de tout. Il me faut donc trouver à chaque proposition la forme la plus adéquate pour aider à la perception. Plus généralement, pour affirmer mon propos j’utilise une multitude de médiums à l’exception de la peinture.

LSM : Et, au sujet de ce lieu (le Mac’s) : en tant que visiteur, on a l’impression que le lieu se module en fonction de vos œuvres, comme si l’adéquation entre Art et espace était parfaite. Comment expliquez-vous cela ? Une heureuse coïncidence ? Une idéale collaboration ?
Patrick Guns : C’est le titre de l’exposition I Know A Song To Sing On This Dark, Dark, Dark Night qui a d’abord guidé le choix des pièces et l’échange avec le commissaire de l’exposition, Denis Gielen, a été particulièrement fructueux. Je n’ai pas désiré modifier la déambulation du visiteur en cloisonnant les salles car changer l’espace et contraindre le chemin du visiteur est déjà un discours. Le pari d’une certaine radicalité allait donc mettre les œuvres à l’épreuve de l’espace. La deuxième partie du titre It’s A Song Of Love rappelle un besoin d’enchantement et un élargissement de sens.

LSM : Est-ce un lieu que vous considérez porteur de sens pour l’artiste que vous êtes ? Comment le partenariat s’est-il présenté ?
Patrick Guns : Le site du Grand-Hornu me rappelle étrangement l’image de l’iceberg dont une partie seulement est visible et sculptée par les vents. Le sens du site se trouve dans son sous-sol. Lieu de pouvoir patronal mais aussi de labeur pour les charbonniers, les déterminismes sociaux y sont désormais enterrés et résumés à un lieu culturel et touristique. C’est peut-être ce que suggère la dalle de verre qui entr’ouvre le sol du musée… L’art doit-il s’inscrire sur les ruines du réel ou l’art peut-il être autonome ?

LSM : Pourriez-vous nous raconter plus en détail l’histoire d’une œuvre ou d’un ensemble d’œuvres de cette exposition cette histoire en quelques lignes ?
Patrick Guns : Nous sommes cent cinquante-deux Que Dieu nous aide est une sculpture suspendue ou un immobile mobile. La sculpture est composée de seize fragments de barque dont la face intérieure a été recouverte de feuilles d’or pur. La face extérieure montre encore des traces de peinture écaillée, décrépie par la salinité de l’eau de mer. Le titre de l’œuvre, gratté à l’ongle sur la surface d’or d’un des fragments, fait référence au nombre approximatif des naufragés du Radeau de La Méduse mais aussi aux nombres résolument approximatifs des naufragés qui tentent de rejoindre les côtes européennes via la mer Méditerranée et l’ile de Lampedusa.

LSM : Quels sont vos projets à venir ?
Patrick Guns : Je travaille aujourd’hui sur plusieurs projets qui concernent la critique des discours collectifs. Mais d’abord je boucle le projet No to Contemporary Art qui a longtemps été nomade car ses images ont voyagé librement sur le web. C’est celui d’un collectif fictif à l’origine de la première manifestation mondiale contre l’art contemporain et qui installe son quartier général à l’ISELP (Institut supérieur du Langage plastique) à Bruxelles, du 17 septembre 2014 à juin 2015. Dans un jeu de langage à comprendre la tête en bas évidemment, mais à débattre à l’endroit. Ce projet s’inscrit en complément dans les missions et dans le programme de l’institut : Qu’avons-nous en commun ?