Véronique Depiesse
« Patrick Guns, sculpteur de second sens »
in: L'Art même, n° 11, 2e trimestre 2001, p. 19
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Depuis plus d’une décennie, Patrick Guns, égrène les opérations critiques d’une réflexion sur le monde à qui il adresse, plein d’ironie, ses meilleurs pensées corrosives. Tranquillement, cet artiste d’origine flamande développe une production nette pleine d’humour, usant de supports et de langages variés, adaptés précisément à chaque sujet croqué : le jeu, la symbolique du langage, l’économique, le social, l’écologie, le sacré…

Si l’art n’est pas pour grand chose dans les changements du monde, il est malgré tout un « espace potentiel », une matière intermédiaire entre le sujet-artiste et ce qui l'entoure, et en ce sens, il est politique. Bien que, la plupart du temps, impuissante en matière d'interventions sur les terrains sociaux ou médiatiques, l'intention artistique peut s'engager en développant des constats, en travaillant sur des raccourcis ou des dérivations de sens commun dans le but de faire apparaître un sens nouveau à telle ou telle réalité. C'est le cas des travaux de Patrick Guns (° 1962, vit et travaille à Bruxelles) qui fonctionnent comme autant de commentaires, de réparties critiques, fondamentalement ludiques et souvent sarcastiques. Ses préoccupations semblent s'axer selon différents thèmes qui, tous, s'interpénètrent indirectement, avec pour base commune une certaine perception de la sphère du social dans son acceptation la plus large et des structures qui l'habitent (architecturales, historiques, morales).

Son incisivité poétique (et civique) s'applique sous la forme du jeu aux multiples entrées mettant à jour, sur le mode anecdotique, les aléas et les turpitudes d'un univers dominé par le profit et la marchandisation de la communication. Des travaux comme les Duellistes, sorte d'image à l'ancienne de duels meurtriers dans la zone de but d'un terrain de football, Les Prises d'escalade, accrochées au mur de la cage d'escalier de la galerie von Scholz à Berlin (1997), le projet de la bande annonce Here We'll Built for You (2001), tirée dans les airs par un avion qui définit le ciel en une nouvelle zone de spéculation, en sont quelques exemples teintés d'un certain style tel qu'on en connaîtrait depuis les Absurdes du début du siècle… D'autres, plus franchement violents, renvoient directement à une iconographie commerciale plus agressive : les banderoles colorées bon enfant d'une célébration façon fête d'anniversaire, énonçant tantôt des insultes (He You Bastard, Mother Fucker) tantôt un véritable jugement sans appel tel le dérangeant Kunstarbeit macht frei (qui sera exposé dans la galerie berlinoise), en passant par le sourire d'un joker qui, narquois, brandit la carte de toutes les bonnes excuses auquel on a recours quand il est trop tard pour faire autre chose que de présenter un symbolique, inutile et presque immoral mea culpa à la face de l'univers, et qu'il ne reste à celui-ci qu'à renvoyer ses platoniques insultes (Fuck You… Mr President). Cette carte téléphonique offerte par Guns aux visiteurs de l'avant dernière foire de Bruxelles, affichait, avec ses couleurs criardes de publicité porno (histoire de fidéliser le client), un numéro gratuit qui donnait accès à une messagerie vocale injurieuse à souhait.

Guns&Partners (ou les Ventres d'Architectes), par contre, est un projet en cours qui s'inscrit dans la continuité du dépôt aux Archives de Bruxelles, l'année dernière, d'un sac d'aspirateur rempli par l'entretien domestique. L'idée est de proposer à des architectes de dessiner les faces avant et arrière d'un sac d'aspirateur façon façades de maison et de le renvoyer à la librairie de la Fondation pour l'Architecture où les sacs alors dépliés seront agencés en mobiles, sorte de parcours urbain mais aussi concrétisation d'une déambulation intérieure, domestique et artistique… En y inscrivant en frontispice « Kunsthuis » (Maison d'Art), c'est une nouvelle version à la Duchamp d'un ready-made comblé par des cultures, elles-mêmes ready-made, de poussières que l'artiste récupère dans tous les recoins de son espace intérieur. La poussière se fait alors première expression de l'intention artistique. Dans la foulée du projet, l'association ludique créée entre les participants est aussi l'opportunité de jouer des images de promotion immobilière : Guns&Partners se fera donateur de paysages, à l'instar des grands panneaux immobiliers indiquant les emplacements derniers de la spéculation.

L'intention artistique de cet artiste aux multiples langages et dont la personnalité ressurgit à toutes les occasions du travail, pourrait se résumer comme suit : s'offrir le pouvoir de jouer une partie (d'être de la partie) en tant que sculpteur de position, artiste-citoyen-fou-du-roi-sujet-artiste-roi dans une société où l'individu continue, tant que faire se peut, de prétendre avoir son mot à dire, fût-ce dans les courants d'air du monde de l'art. Comme dirait une vieille connaissance, Patrick Guns est un « fameux pistolet », ces salves font ricochet à tous les coups et ce sera un plaisir que d'aller découvrir ces dernières surprises ce printemps, à la galerie Arte Coppo de Verviers ainsi qu'à la galerie Alexandra von Scholz à Berlin.

Véronique Depiesse
« Patrick Guns, sculpteur de second sens »
in: L'Art même, n° 11, 2e trimestre 2001, p. 19
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Depuis plus d’une décennie, Patrick Guns, égrène les opérations critiques d’une réflexion sur le monde à qui il adresse, plein d’ironie, ses meilleurs pensées corrosives. Tranquillement, cet artiste d’origine flamande développe une production nette pleine d’humour, usant de supports et de langages variés, adaptés précisément à chaque sujet croqué : le jeu, la symbolique du langage, l’économique, le social, l’écologie, le sacré…

Si l’art n’est pas pour grand chose dans les changements du monde, il est malgré tout un « espace potentiel », une matière intermédiaire entre le sujet-artiste et ce qui l'entoure, et en ce sens, il est politique. Bien que, la plupart du temps, impuissante en matière d'interventions sur les terrains sociaux ou médiatiques, l'intention artistique peut s'engager en développant des constats, en travaillant sur des raccourcis ou des dérivations de sens commun dans le but de faire apparaître un sens nouveau à telle ou telle réalité. C'est le cas des travaux de Patrick Guns (° 1962, vit et travaille à Bruxelles) qui fonctionnent comme autant de commentaires, de réparties critiques, fondamentalement ludiques et souvent sarcastiques. Ses préoccupations semblent s'axer selon différents thèmes qui, tous, s'interpénètrent indirectement, avec pour base commune une certaine perception de la sphère du social dans son acceptation la plus large et des structures qui l'habitent (architecturales, historiques, morales).

Son incisivité poétique (et civique) s'applique sous la forme du jeu aux multiples entrées mettant à jour, sur le mode anecdotique, les aléas et les turpitudes d'un univers dominé par le profit et la marchandisation de la communication. Des travaux comme les Duellistes, sorte d'image à l'ancienne de duels meurtriers dans la zone de but d'un terrain de football, Les Prises d'escalade, accrochées au mur de la cage d'escalier de la galerie von Scholz à Berlin (1997), le projet de la bande annonce Here We'll Built for You (2001), tirée dans les airs par un avion qui définit le ciel en une nouvelle zone de spéculation, en sont quelques exemples teintés d'un certain style tel qu'on en connaîtrait depuis les Absurdes du début du siècle… D'autres, plus franchement violents, renvoient directement à une iconographie commerciale plus agressive : les banderoles colorées bon enfant d'une célébration façon fête d'anniversaire, énonçant tantôt des insultes (He You Bastard, Mother Fucker) tantôt un véritable jugement sans appel tel le dérangeant Kunstarbeit macht frei (qui sera exposé dans la galerie berlinoise), en passant par le sourire d'un joker qui, narquois, brandit la carte de toutes les bonnes excuses auquel on a recours quand il est trop tard pour faire autre chose que de présenter un symbolique, inutile et presque immoral mea culpa à la face de l'univers, et qu'il ne reste à celui-ci qu'à renvoyer ses platoniques insultes (Fuck You… Mr President). Cette carte téléphonique offerte par Guns aux visiteurs de l'avant dernière foire de Bruxelles, affichait, avec ses couleurs criardes de publicité porno (histoire de fidéliser le client), un numéro gratuit qui donnait accès à une messagerie vocale injurieuse à souhait.

Guns&Partners (ou les Ventres d'Architectes), par contre, est un projet en cours qui s'inscrit dans la continuité du dépôt aux Archives de Bruxelles, l'année dernière, d'un sac d'aspirateur rempli par l'entretien domestique. L'idée est de proposer à des architectes de dessiner les faces avant et arrière d'un sac d'aspirateur façon façades de maison et de le renvoyer à la librairie de la Fondation pour l'Architecture où les sacs alors dépliés seront agencés en mobiles, sorte de parcours urbain mais aussi concrétisation d'une déambulation intérieure, domestique et artistique… En y inscrivant en frontispice « Kunsthuis » (Maison d'Art), c'est une nouvelle version à la Duchamp d'un ready-made comblé par des cultures, elles-mêmes ready-made, de poussières que l'artiste récupère dans tous les recoins de son espace intérieur. La poussière se fait alors première expression de l'intention artistique. Dans la foulée du projet, l'association ludique créée entre les participants est aussi l'opportunité de jouer des images de promotion immobilière : Guns&Partners se fera donateur de paysages, à l'instar des grands panneaux immobiliers indiquant les emplacements derniers de la spéculation.

L'intention artistique de cet artiste aux multiples langages et dont la personnalité ressurgit à toutes les occasions du travail, pourrait se résumer comme suit : s'offrir le pouvoir de jouer une partie (d'être de la partie) en tant que sculpteur de position, artiste-citoyen-fou-du-roi-sujet-artiste-roi dans une société où l'individu continue, tant que faire se peut, de prétendre avoir son mot à dire, fût-ce dans les courants d'air du monde de l'art. Comme dirait une vieille connaissance, Patrick Guns est un « fameux pistolet », ces salves font ricochet à tous les coups et ce sera un plaisir que d'aller découvrir ces dernières surprises ce printemps, à la galerie Arte Coppo de Verviers ainsi qu'à la galerie Alexandra von Scholz à Berlin.