« My Last Meals »
pages jeunes-interview
in: Dits, n° 8-9, 2007, p. 126-131
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Première question basique mais incontournable, vu le sujet : d'où vous est venue cette idée de faire préparer par des chefs coqs renommés des derniers repas de condamnés à mort ?
Patrick Guns : Il y a plusieurs années, j'ai découvert, sur le site de la Justice du Texas, la publication des derniers repas de condamnés à mort qui aujourd'hui, suite aux protestations et pressions diverses, n'est plus accessible. Je fus troublé par cette indécence et heurté par ce cynisme j'ai décidé de l'exacerber en proposant la recomposition des repas à des chefs de grande renommée. Il en résulte une image, celle de leur dernier message, de leur dernière trace. Une image qui se situe du côté de la Vie et du goût. D'ailleurs, la composition de ces repas reste basique et remonte souvent à des goûts appris durant l'enfance. Il me semble que seuls des artistes du palais, des maîtres de la gastronomie pouvaient agencer et recomposer cette « offrande » et dans le même temps affirmer leur Humanisme. Ils ont donc eu « carte blanche » pour recréer un repas.

Ne pensez-vous pas qu'avec votre œuvre, vous participez, tout comme le site de la justice Texane, à l'atteinte à la vie privée de ces condamnés à mort ?
P.G. : On peut voir ça comme cela car le dernier repas d'un individu est bien reproduit. Mais ici, mon but est plutôt de rendre hommage à un individu, à une vie qui n'« est plus ». Mon travail, c'est de rappeler ce qui reste de lui. Cette perspective est plus forte que le dégoût que j'ai ressenti à l'égard de ces publications.

Ethiquement, ce sujet n'est pas neutre du tout. Est-ce un prétexte à l'expression de votre point de vue sur la peine de mort ?
P.G. : Bien sûr je suis, par principe, opposé à la peine de mort. Mais la peine de mort n'est aucunement le propos du travail. Il n'y a donc pas d'enjeu militant. D'ailleurs je ne parle nullement de la mort elle-même.

La réalisation de ce travail est aussi humainement très forte, probablement. Vous traitez tout de même de condamnés à mort qui, par définition, sont accusés de choses atroces. Comment avez-vous géré ce paramètre ?
P.G. : Durant mes recherches, il m'est arrivé de lire et de découvrir les faits pour lesquels ces gens ont été condamnés. Il y va parfois de l'horreur. Cela m'indigne évidemment mais il y a un principe de justice. Et j'ai décidé d'avoir, à travers l'utilisation de l'image, un point de vue critique sur sa limite.

En un sens, vous n'êtes pas le seul artiste à travailler sur le sujet : il y a aussi les grands chefs qui ont accepté de préparer les plats. Quelles furent leurs réactions ?
P.G. : Leurs attitudes furent très variées. Une grande partie du travail consiste à prendre contact avec les chefs. Si avec les chefs belges la meilleure stratégie s'est rapidement révélée être la prise de contact directe, les chefs français demandent une approche plus protocolaire ou recommandée.
J'ai rencontré des chefs qui sont partisans de la peine de mort. Certains le revendiquent et refusent la proposition. D'autres raisons induisent le refus : certains ne travaillent pas avec la mort, d'autres ne font pas de « cuisine politique » ; certains craignent pour leur image personnelle ou leur restaurant, d'autres sont soumis à la décision de leur direction ou de leurs actionnaires. Ceux qui ont répondu favorablement affirment avant tout leur humanisme et leur sens des valeurs humaines. Il m'est arrivé de recevoir d'un chef une véritable leçon de Vie. Je m'engage donc aussi à ne pas porter atteinte à leur image ni à faire de militantisme. La sphère reste celle de l'art.

Passons maintenant à l'aspect technique. Les photographies sont réalisées par un professionnel ?
P.G. : Le chef est un homme très occupé et a peu de temps. La préparation du repas est plus longue que la prise de vue. Celle-ci dure une dizaine de minutes. La contrainte de temps me pousse à user du "mode automatique" et à être plus proche de la photo de « famille ». Je réalise moi-même les images dans les cuisines.

Et la composition ?
P.G. : Le travail concerne un propos d'homme avant d'être un propos de cuisinier. J'accorde une attention particulière à la perception du corps entier du cuisinier en regard de l'absence dans la partie gauche de l'image. Le chef est en général photographié à partir de la taille, au profit de l'image du plat. Dans le cas présent le plat est peu visible (certains le regrettent). C'est l'intention du chef qui prime sur sa réalisation. Malgré cela tous les éléments sont présents, texte et image, pour permettre au regardeur de comprendre et « voir » la composition. Lui donner davantage de place aurait été redondant et inutile. La typographie est différente à chaque image et me permet ainsi de différencier les personnes, malgré la portée globale du travail. Le même schéma s'appliquera à chaque image à venir.

Votre travail n'est donc pas terminé…
P.G. : Loin de là. J'ai des contacts avec des chefs d'autres nationalités européennes. Le projet commence et s'accélère déjà. Des chefs me recommandent à d'autres chefs dans d'autres pays. Ce travail se développera sur un long terme et me prendra encore environ deux ans.

A suivre, donc…

« My Last Meals »
pages jeunes-interview
in: Dits, n° 8-9, 2007, p. 126-131
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Première question basique mais incontournable, vu le sujet : d'où vous est venue cette idée de faire préparer par des chefs coqs renommés des derniers repas de condamnés à mort ?
Patrick Guns : Il y a plusieurs années, j'ai découvert, sur le site de la Justice du Texas, la publication des derniers repas de condamnés à mort qui aujourd'hui, suite aux protestations et pressions diverses, n'est plus accessible. Je fus troublé par cette indécence et heurté par ce cynisme j'ai décidé de l'exacerber en proposant la recomposition des repas à des chefs de grande renommée. Il en résulte une image, celle de leur dernier message, de leur dernière trace. Une image qui se situe du côté de la Vie et du goût. D'ailleurs, la composition de ces repas reste basique et remonte souvent à des goûts appris durant l'enfance. Il me semble que seuls des artistes du palais, des maîtres de la gastronomie pouvaient agencer et recomposer cette « offrande » et dans le même temps affirmer leur Humanisme. Ils ont donc eu « carte blanche » pour recréer un repas.

Ne pensez-vous pas qu'avec votre œuvre, vous participez, tout comme le site de la justice Texane, à l'atteinte à la vie privée de ces condamnés à mort ?
P.G. : On peut voir ça comme cela car le dernier repas d'un individu est bien reproduit. Mais ici, mon but est plutôt de rendre hommage à un individu, à une vie qui n'« est plus ». Mon travail, c'est de rappeler ce qui reste de lui. Cette perspective est plus forte que le dégoût que j'ai ressenti à l'égard de ces publications.

Ethiquement, ce sujet n'est pas neutre du tout. Est-ce un prétexte à l'expression de votre point de vue sur la peine de mort ?
P.G. : Bien sûr je suis, par principe, opposé à la peine de mort. Mais la peine de mort n'est aucunement le propos du travail. Il n'y a donc pas d'enjeu militant. D'ailleurs je ne parle nullement de la mort elle-même.

La réalisation de ce travail est aussi humainement très forte, probablement. Vous traitez tout de même de condamnés à mort qui, par définition, sont accusés de choses atroces. Comment avez-vous géré ce paramètre ?
P.G. : Durant mes recherches, il m'est arrivé de lire et de découvrir les faits pour lesquels ces gens ont été condamnés. Il y va parfois de l'horreur. Cela m'indigne évidemment mais il y a un principe de justice. Et j'ai décidé d'avoir, à travers l'utilisation de l'image, un point de vue critique sur sa limite.

En un sens, vous n'êtes pas le seul artiste à travailler sur le sujet : il y a aussi les grands chefs qui ont accepté de préparer les plats. Quelles furent leurs réactions ?
P.G. : Leurs attitudes furent très variées. Une grande partie du travail consiste à prendre contact avec les chefs. Si avec les chefs belges la meilleure stratégie s'est rapidement révélée être la prise de contact directe, les chefs français demandent une approche plus protocolaire ou recommandée.
J'ai rencontré des chefs qui sont partisans de la peine de mort. Certains le revendiquent et refusent la proposition. D'autres raisons induisent le refus : certains ne travaillent pas avec la mort, d'autres ne font pas de « cuisine politique » ; certains craignent pour leur image personnelle ou leur restaurant, d'autres sont soumis à la décision de leur direction ou de leurs actionnaires. Ceux qui ont répondu favorablement affirment avant tout leur humanisme et leur sens des valeurs humaines. Il m'est arrivé de recevoir d'un chef une véritable leçon de Vie. Je m'engage donc aussi à ne pas porter atteinte à leur image ni à faire de militantisme. La sphère reste celle de l'art.

Passons maintenant à l'aspect technique. Les photographies sont réalisées par un professionnel ?
P.G. : Le chef est un homme très occupé et a peu de temps. La préparation du repas est plus longue que la prise de vue. Celle-ci dure une dizaine de minutes. La contrainte de temps me pousse à user du "mode automatique" et à être plus proche de la photo de « famille ». Je réalise moi-même les images dans les cuisines.

Et la composition ?
P.G. : Le travail concerne un propos d'homme avant d'être un propos de cuisinier. J'accorde une attention particulière à la perception du corps entier du cuisinier en regard de l'absence dans la partie gauche de l'image. Le chef est en général photographié à partir de la taille, au profit de l'image du plat. Dans le cas présent le plat est peu visible (certains le regrettent). C'est l'intention du chef qui prime sur sa réalisation. Malgré cela tous les éléments sont présents, texte et image, pour permettre au regardeur de comprendre et « voir » la composition. Lui donner davantage de place aurait été redondant et inutile. La typographie est différente à chaque image et me permet ainsi de différencier les personnes, malgré la portée globale du travail. Le même schéma s'appliquera à chaque image à venir.

Votre travail n'est donc pas terminé…
P.G. : Loin de là. J'ai des contacts avec des chefs d'autres nationalités européennes. Le projet commence et s'accélère déjà. Des chefs me recommandent à d'autres chefs dans d'autres pays. Ce travail se développera sur un long terme et me prendra encore environ deux ans.

A suivre, donc…